Un texte autobiographique : le repas du dimanche midi chez mes grands parents
Je
veux d’abord me souvenir avec vous de la vie sur la terrasse, nous y étions
tous les dimanches d’été et quelques dimanches de printemps cléments rassemblés
en famille comme dans une nouvelle pièce à vivre. Nous arrivions avec mes
parents sur les coups de onze heures ou midi en général.
On
y prenait l’apéro, les adultes discutaient, tandis que nous étions ma sœur et
moi soit sur les genoux des uns et des autres à écouter sans toujours les
comprendre les conversations, soit occupés à nos jeux respectifs à l’autre bout
de la terrasse.
Ensuite,
indiciblement, tardivement, venait le repas. Rarement avant treize heures. Mémé
s’en allait chercher les plats à sa cuisine, des hauts cris stridents
revenaient à nous comme des boomerangs. Ce qui les justifiait de la part de ma
grand-mère, c’était qu’inévitablement, le plat avait été soit disant trop cuit,
la pâte du gâteau brûlée, le poulet trop
sec, etc.
Je
vous rassure tout de suite, au final quand le plat était servi à table, il
était en réalité objectivement parfaitement réussi et surtout délicieusement
bon. Qu’en conclure alors ? De deux choses l’une :
- soit ma
grand-mère était très stressée par le fait de rater la préparation du repas,
elle y attachait tant de valeur, qu’elle en faisait une sorte de paranoïa,
- soit elle savait précieusement ménager ses effets,
cette petite scène habituelle n’ayant pour autre but que de presser chacun à
dire qu’en réalité c’était très bon (dans ce cas, je tiens personnellement à
vous faire remarquer que ce n’était pas la peine de faire tout ce cinéma,
puisque c’était de toute façon excellent et que du coup tout le monde le disait
à chaque fois de bon cœur, sans s’y sentir obligé. Oui, oui j’ai bien dit s’y
sentir obligé, car je sais que vous avez tous du vivre ça au moins une fois
dans votre vie : avaler des bouchées détestables avec un sourire forcé en
s’extasiant « quel délice ! » juste pour ne pas vexer un être
cher ou respecter les bonnes manières).
Toujours
est-il que lorsque ma grand-mère partait en s’affolant vers sa cuisine, c’était
le signal et chacun devait participer à sa manière : aller chercher les
couverts, les assiettes et les verres, les boissons, les serviettes, les
entrées, les condiments, le pain, etc.
En
ce qui me concerne, ce que je préférais, c’était d’aller chercher les
serviettes : elles étaient rangées dans une porte de placard du buffet
aménagée avec une sorte de panier pour y mettre le pain. Il fallait donc
plonger l’avant bras entier pour aller à la pêche aux serviettes. Une fois
qu’on les avait, il fallait demander à qui elles appartenaient : la bleu,
la verte, la rose… La mienne en principe était la rose à carreaux et pour ma
sœur sa jumelle verte je crois (à moins que ce ne soit celle de ma
grand-mère ?), je ne sais pas pourquoi, peut être est-ce ma grand-mère qui
en avait décidé ainsi. Enfin, il en manquait toujours une ou deux, il fallait
alors aller en rechercher des « neuves » dans un autre buffet, celui
du salon et le plus souvent, ma grand-mère m’y aidait dans mes recherches
tâtonnantes.
Pour
revenir à la grande animation générale dont l’objet était de dresser la table
avant le début du repas, ce qui m’a toujours frappé et fait rire, c’est
l’efficacité avec laquelle nous étions capables d’annuler les actions des
autres : quelqu’un posait un tir bouchon sur la table le temps d’aller
chercher une bonne bouteille au grenier? (Oui je sais c’est surprenant chez mes
grand parents la cave est au grenier !) Qu’à cela ne tienne, en
voilà qu’un autre, trouvant ce tir bouchon mal rangé, ne lui laissait guère de
répit et le renvoyait dans son tiroir sans délai.
Le
repas était donc toujours un cérémonial comme vous l’aurez compris. Un
cérémonial, mais un instant précieux surtout où nous étions tous réunis et où
personne ne se levait de table avant que le fromage n’ait été dégusté au
minimum. La teneur copieuse du menu obligeant régulièrement à décaler le
dessert pour ne le servir qu’à l’heure du goûter.
C’était
là une sorte de petite société, me servant d’apprentissage, de répétition de la
vraie. Ma famille ne transigeait pas avec ces règles de vie à table, en faisant
comme un symbole de la bonne éducation, mais aussi je crois de l’unité de la
« cellule » familiale. Ainsi, je me souviens que mon cousin et ma
cousine qui venaient fréquemment aux vacances et certains week end depuis la
région parisienne était moins respectueux de la « discipline »
souhaitée à table (puisque moins bien « habitués »). Et c’est là une
des rares occasions où j’ai pu voir mon grand père se fâchant verbalement
contre eux.
Au
repas donc, mon grand père placé toujours en bout de table prenait des allures
de chef de famille. C’était pour moi bien évidemment un modèle. A titre
d’exemple, à l’adolescence, lui le premier m’a fait boire du vin à table, comme
une façon de me dire « tu grandis, tu deviens un homme ». Mais aussi
« voilà les traditions familiales ». De même qu’à une certaine époque
où mes parents se sont séparés et où je venais seul de chez ma mère le
dimanche midi, il m’a fait conduire sa voiture pour mon apprentissage. A cette
époque là, les repas étaient parfois l’occasion qu’il me raconte ses souvenirs
d’ancien combattant : la seconde guerre mondiale qu’il avait vécue comme
prisonnier devant travailler dans une ferme en Allemagne, puis sa libération
par les russes… Mais tout ça c’est une autre histoire.